Les donjons c’est pas plus con

Drakar och Demoner/Dragonbane, un super jeu plein de petits donjons.

Je lis avec beaucoup de délice l’aventure de la boîte de base de Drakkar och Demoner/Dragonbane. Elle est constituée d’une dizaine de mini-aventures qui peuvent être connectées entre elles avec une intrigue plus globale. Ces minis-aventures sont bien souvent des minis-donjons que l’on peut faire en deux à quatre heures. J’en ai déjà fait jouer quelques-uns et j’ai hâte de passer à la suite ! Et en même temps, je sais le mépris que peuvent susciter ce type d’aventure. C’est assez fréquent de voir quelqu’un expliquer qu’une aventure est décevante ou mauvaise en disant tout simplement « c’est un donjon ». Souvent ces mêmes gens valorisent les scénarios d’enquêtes et le disent un peu à la manière de ceux qui expriment leur préférence pour le comté vis-à-vis de l’emmental. Ils ont le ton de ceux qui ont tout compris et qui font la bonne chose à faire. Moi j’aime bien le comté et l’emmental et il se trouve que je ne pense pas que le style « donjon » ait à rougir devant les scénarios d’enquête. On n’utilise pas moins sa tête dans un donjon que dans une enquête. Pour vous en convaincre, je vais décrire ce qu’est un donjon puis une enquête avant de les comparer. Bien sûr, on peut mettre des donjons dans une enquête et des enquêtes dans un donjon, je me concentre ici sur des formes épurées des deux genres.

Qu’est-ce qu’un donjon ?

Les caves du chaos du module B2 Le château-fort aux confins du pays, un grand classique pour Basic D&D.

« Donjon » est à l’origine un mot français désignant la pièce maîtresse d’une fortification. Ce mot est passé dans l’anglais où le sens le plus commun qu’il a pris correspond en français à ce que l’on appelle des oubliettes. Le sens s’est élargi avec le jeu Dungeon and Dragons (D&D) où donjon s’est mis à désigner des souterrains, grottes ou labyrinthes dans lesquels vont des aventuriers pour piller des trésors, exterminer des créatures dangereuses ou les deux à la fois.

En anglais on parle de dungeon crawling qui pourrait se traduire par « progression lente dans un donjon ». Effectivement, explorer un donjon doit se faire avec précaution : ces derniers sont pleins de pièges et de créatures hostiles qu’il vaut mieux anticiper. En français on désigne souvent cela de manière condescendante par « porte-monstre-trésor » ou « PMT ». Cela signifie que l’on ne fait qu’enchaîner des pièces en tapant sur des monstres pour récupérer leur trésor.

Cette vision est assez caricaturale (même si ça arrive, on ne va pas le cacher). L’exploration de donjon peut aussi être une expérience fascinante et pleine de surprises où les joueurs ont besoin d’utiliser leurs méninges et leur capacité à négocier pour pouvoir avancer.

Les interactions dans un donjon ne se limitent pas forcément au combat. Les donjons abritent souvent plusieurs factions avec lesquelles les aventuriers devront composer. Ils peuvent choisir de soutenir une faction plutôt qu’une autre pour arriver à leurs fins.

Ensuite, les joueureuses doivent passer du temps à essayer de trouver puis éviter des pièges. Ils doivent comprendre et découvrir la structure du donjon. Cela peut impliquer de trouver des passages secrets, débloquer des portes ou résoudre des énigmes.

Enfin, le combat, très présent dans ce genre, peut faire appel à l’intelligence. Se jeter dans le tas est un image d’Épinal du donjonneur, mais c’est aussi une très bonne manière de mourir vite. Lorsque vous êtes dans un donjon, vous devez gérer des ressources : vos torches, votre santé, vos pouvoirs et votre encombrement. Plus vous avancez, plus vous êtes fatigué et chargé. Les rencontres dans un donjon ne sont pas forcément équilibrées, surtout si vous jouez dans le style OSR. Ce qui veut dire que les joueureuses doivent apprendre à éviter certaines confrontations ou à trouver les éléments qui leur donneront l’avantage.

Il y a souvent une table de rencontre aléatoire qui m’amuse beaucoup en tant que MJ, parce que cela peut rajouter des surprises en plus de ce que les joueurs peuvent inventer. Notez que dans les vieilles versions de D&D, les monstres n’apportent que peu d’expérience, contrairement aux trésors. On a dans ce cas intérêt à éviter les monstres errants, qui ont souvent peu de trésors sur eux et risquent d’affaiblir ou tuer les héros pour pas grand chose. C’est le genre de chose que doivent prendre en compte les joueureuses pour se donner toutes les chances de succès.

Qu’est-ce qu’un scénario orienté enquête ?

L’appel de Cthulhu, un célèbre grand ancien des jeux de rôles orientés enquête.

De l’Appel de Cthulhu à Brindlewood Bay en passant par les Esoterrorists les jeux d’enquête ont subi de nombreuses évolutions, on peut cependant en tirer quelques éléments communs. Dans un jeu d’enquête, on cherche à résoudre un ou des mystères (qui a tué machin ? Qui à volé un truc ? Où a disparu bidule ? etc.). Pour résoudre ce mystère, on suit des pistes qui nous mènent dans des lieux ou nous font rencontrer des personnes auprès de qui on cherche à obtenir des indices. Ces indices peuvent mener à de nouvelles pistes ou à la confrontation finale où le mystère sera résolu.

Le premier jeu utilisant le système Gumshoe qui facilite aux joueureuses la découverte des indices.

L’enquête, finalement, c’est un donjon qui se la pète. Les portes-monstres-trésors sont remplacées par des pistes-indices-révélation. La structure de base pour avancer est relativement proche en ce qui me concerne.

Cependant, on peut facilement être bloqué dans un jeu d’enquête, il arrive souvent de passer à côté des indices. C’est arrivé à beaucoup de gens de rater leur jet de trouver objet caché à Cthulhu. L’évolution du jeu de rôle est très intéressante à ce sujet. Les jeux motorisés par Gumshoe rendent l’accès à un indice automatique si on a la bonne compétence et que l’on regarde au bon endroit ou que l’on demande quelque chose à la bonne personne. Une pratique assez répandue est aussi de considérer qu’un échec aux dés peut se transformer en réussite avec complication (perte de temps, manque de discrétion…). Brindlewood Bay n’a même pas d’explication déterminée pour le mystère ! Ce sont les enquêtrices qui proposent une explication, s’ensuit alors un jet de dé pour déterminer si la théorie échafaudée est vraie ou fausse. On trouve d’autres jeux, parmi les PBTA comme Root, qui encouragent à choisir ce qui s’est vraiment passé en fonction des directions que prennent les joueureuses afin de permettre une narration plus fluide.

Les scénarios proposés par Blade Runner ont une approche encore différente, que l’on retrouve dans les structures de Ur Varselklotet/Tales from the Loop ou Nordiska Väsen/Vaesen. On a un compte à rebours ainsi qu’une catastrophe décrite si les joueureuses passent à côté de l’enquête. Ce n’est pas grave si les joueureuses sont bloquées, l’histoire, elle, continue. Blade Runner est particulièrement bien rythmé.

Mais alors, quelles sont les vraies différences entre enquête ou donjon ?

Un donjon a une représentation mentale plus rassurante qu’une enquête. Tout est physique et devant soi, au même endroit. Si on est face à trois portes, on choisit quelle porte on veut ouvrir. L’enquête se passe souvent dans un monde ouvert, les enquêteurs doivent choisir où ils vont et pourquoi pas faire un tour à la bibliothèque ou aux archives. Dans une enquête, je note beaucoup plus de choses, pour matérialiser les lieux où je dois aller, les personnes que je dois interroger. Je suis sans doute plus attentif pour ne pas passer à côté de quelque chose.

L’enquête est plus propice à l’interprétation de son personnage, on y joue souvent plus d’interactions que dans un donjon. Quand on privilégie l’interprétation du personnage, l’enquête est un genre où on pourra plus facilement s’épanouir.

Le donjon de son côté a des aspects de jeu de plateau tactique que l’on trouve moins souvent dans les jeux orientés enquête. Quand on privilégie la gestion des ressources et des caractéristiques, c’est un genre dont on peut se délecter.

Dans un jeu comme D&D, on passe beaucoup de temps à réfléchir à l’évolution de son personnage en dehors de la partie. Il suffit après d’appliquer les choix que l’on a fait. Et c’est ce qui fait que le donjon est un genre où on peut décrocher son cerveau plus facilement pendant la partie. On peut se laisser porter en enfilant les couloirs et en appliquant les choix que l’on a fait en amont.

Conclusion

Deux salles, deux ambiances, le donjon et l’enquête ne sont pas incompatibles et peuvent s’hybrider l’un avec l’autre. Certains préfèreront un style par rapport à l’autre, d’autres joueront les deux. Cependant, je ne pense pas qu’un des genres soit plus noble ou légitime que l’autre. Ce sont des propositions ludiques différentes qui ont chacune leur place dans le panorama du jeu de rôle.

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