Nordiska Väsen/Vaesen

Le livre original de Egerkrans qui a inspiré le jeu de rôle.

Nordiska Väsen/Vaesen est un jeu d’enquête et d’horreur ayant pour cadre une Scandinavie mythique du XIXe siècle où on retrouve les créatures des contes et légendes nordiques. Le jeu a été développé à partir de l’univers graphique de Johann Egerkrans et de son livre Nordiska Väsen. Il a été principalement écrit par Nils Hintze, l’auteur de Ur varselklotet/Tales from the loop. Les deux jeux présententde nombreuses similitudes. Väsen utilise une version similaire du moteur an zéro (YZE) et la méthode pour créer un mystère est très proche. Le livre de base est une boîte à outils pour écrire et faire jouer des intrigues avec assez peu d’efforts. Je trouve que c’est la grande réussite de ce jeu, c’est la raison pour laquelle j’ai envie de vous en parler ici.

Le livre

C’est un gros livre en grand format. Un livre moins gros ou de plus petit format aurait été plus pratique à lire et à manipuler. C’est heureusement le seul véritable défaut du jeu. 

Malgré sa taille, le livre est très beau, très agréable à lire et à regarder. Les illustrations de Johann Egerkrans sont évidemment à l’honneur dans tout l’ouvrage.

Le livre est joliment mis en page par Dan Algstrand (même s’il a la vilaine habitude de retourner les images).

Comme pour Mutant: Hindenburg, la principale fonte utilisée est Mrs Eaves de Zuzana Licko. C’est une fonte traditionnelle inspirée de Baskerville avec un peu moins de contraste entre les pleins et les déliés. Il y a une certaine rudesse dans cette fonte à empattement. Comme dans Mutant: Hindenburg, l’idée est sans doute d’évoquer un livre du XIXe siècle. C’est assez réussi.

La titraille, elle, est en Eccentric Regular de Gustav F. Schroeder. Cette fonte fantaisie très art nouveau évoque elle aussi le XIXe siècle, même si le style a une trentaine d’années de plus que l’époque où le jeu est censé se dérouler.

Beaucoup d’encarts et tableaux sont fait avec la classique Futura, une merveilleuse fonte des années 1920. Le contraste avec Mrs Eaves permet de signaler une différence dans le type d’information du texte.

En bref, il s’agit encore d’un beau livre qui plonge bien dans l’ambiance voulue par les auteurs. Comme d’habitude chez Free League, le style est efficace et vise l’essentiel.

Le cadre

Les joueurs sont des membres d’une société étudiant les väsen, un mot suédois pouvant signifiant « être » et qui désigne toutes sortes de créatures mythiques, souvent proches de la nature : trolls, gnomes, elfes, sirènes… ce genre de choses. Ces êtres sont souvent invisibles à l’œil humain, mais les personnages ont développé, suite à un traumatisme, un pouvoir qui leur permet de les voir en permanence.

Avec la révolution industrielle, un équilibre semble s’être brisé entre les väsen et les humains, les conflits sont de plus en plus courants et les membres de la société sont sollicités pour résoudreces problèmes.

Cette société vieille de plusieurs centaines d’années et active dans toute la Scandinavie est sur le déclin. Le manoir qui constituait son centre à Uppsala estinoccupé depuis 10 ans. Les personnages sont ceux qui ont relancé la société après qu’une vieille et ancienne membre leur a confié les clefs du manoire. Cette vieille dame n’est pas toujours cohérente dans ses propos et ne veut surtout pas remettre les pieds au manoir, elle préfère rester à l’asile d’Uppsala. La demeure regorge de mystères qu’il faudra sans doute aussi explorer.

Le jeu

Le jeu propose de créer un personnage selon de nombreux archétypes : scientifique, domestique, écrivain, chasseur, médecin, officier, détective privé, prêtre, vagabond ou sorcier. On utilise le moteur an zéro (YZE) qui permet de relancer les dés en cochant une condition. Ce n’est pas une itération qui m’a fait pousser des petits cris de joie comme Alien et ses dés de stress, Twilight 2000 et ses dés de munition ou Svärdets Sång/Forbidden Lands et ses dés d’artefact et de gestion de ressources. Peut-être que je commence à être moins étonné aussi par le moteur an zéro et puis c’est très proche de ce qui a été fait pour Ur Varselklotet/Tales from the Loop. Quoi qu’il en soit, ça tourne. Je n’ai pas de critique négative sur le système.

Des règles spécifiques sont ajoutées pour gérer la peur. D’une certaine manière, on est assez proche d’un jeu comme l’Appel de Cthulhu, sauf que l’on enquête sur des créatures issues du folklore scandinave et pas sur les monstres imaginés par Lovecraft et ses amis.

Le manoir de la société.

Le jeu propose aussi de développer le quartier général de la société. Entre chaque enquête, les personnages ont la possibilité d’améliorer les ressources à leur disposition dans le manoir. Ils commencent avec un majordome ainsi que l’accès à une bibliothèque. Les améliorations permettent d’obtenir divers bonus en début d’aventure.

Le jeu propose une collection de 22 väsen. La version anglaise comprend parfois des explications supplémentaires, le jeu étant très ancré dans la culture scandinave. Chaque description propose de nombreuses idées pour intégrer chaque väsen à un mystère. C’est une vraie mine d’or à histoires. Le jeu brille particulièrement en proposant une méthode pour écrire un mystère.

Le mystère

Le chapitre expliquant comment écrire un mystère est excellent. Je suis du genre feignant qui achete des scénarios tout cuits et pourtant, la méthode proposée par Väsen est tellement séduisante que je suis en train d’écrire des mystères en la suivant. On suit une structure assez simple : un prologue (une petite scène d’ambiance du quotidien à Uppsala), l’invitation (les personnages reçoivent une lettre leur demandant de l’aide), la préparation (réunir l’équipement, faire un tour à la bibliothèque…), le voyage, l’arrivée, les lieux où l’enquête se déroule (en général, trois lieux différents), la confrontation puis l’après jeu où l’on détermine si les personnages garderont des séquelles de leurs blessures. Ce que j’aime dans cette structure assez fixe, c’est l’effet de répétition des épisodes, comme dans une série policière.

Le schéma de l’enchaînement des lieux d’enquête jusqu’à la confrontation est similaire à celui proposé dans Ur Varselklotet/Tales from the loop.

Pour créer un mystère, il faut trouver un väsen, un conflit principal, un conflit secondaire, des lieux comprenant des indices de ce qui se passe. Et enfin, et c’est ce que je préfère, on établit un compte à rebours et une catastrophe. Le compte à rebours est constitué en général de trois événements qui ont lieu durant l’enquête, la catastrophe c’est ce qui se passe si les personnages n’arrivent pas à maîtriser ou dominer le conflit. Cela peut inclure leur mort.

J’aime beaucoup ce compte à rebours, parce qu’il ajoute de la tension, obligeant l’histoire à avancer même si les personnages sont largués. La  catastrophe est aussi très utile, elle permet d’accepter une issue tragique possible plutôt que d’aider artificiellement les personnages en les faisant réussir s’ils passent à côté de l’intrigue.

Le chapitre est très pédagogique et l’aventure exemple donnée à la fin de l’ouvrage donne un bel exemple du fonctionnement du jeu. Des tables aléatoires permettent d’aider à trouver des idées pour construire une histoire à la fin du chapitre. J’ai commencé à l’utiliser pour écrire une histoire. Ça marche très bien, il faut cogiter un peu, mais le mystère se déroule tout seul, il suffit de remplir les cases proposées par la méthode.

Retour de partie

L’aventure incluse dans le livre.

Les joueureuses créèrent facilement en autonomie leurs personnages en suivant les instructions du livre. Ils firent des personnages hauts en couleur et c’était très agréable de les voir jouer. Je les ai senti très à l’aise pour rentrer dans la peau de leur personnage ainsi que dans le cadre du jeu.

Nous jouâmes le scénario du livre en deux courtes sessions. Le mystère en lui-même fut résolu en 3h, 3h30. Cela aurait pu prendre plus de temps, mes joueureuses furent très efficaces et allèrent droit au but.

Ce scénario d’introduction ne semble pas particulièrement ancré dans le folklore scandinave, il pourrait facilement être transposé n’importe où : Il s’agit d’une histoire de fantôme assez classique. Le jeu propose de créer des cadres équivalents dans le folklore d’autres cultures. Un supplément est ainsi sorti sur la Grande-Bretagne et l’Irlande.

Effet amusant auquel je ne m’attendais pas : les joueureuses ont beaucoup plus hésité à forcer la chance qu’à Mutant ou à Svärdets Sång/Forbidden Lands. Si dans ces deux jeux, il y a juste une chance d’avoir une conséquence négative, dans Nordiska Väsen/Vaesen, on est sûr d’avoir une conséquence négative. Les joueureuses ont attendu la confrontation où il fallait jouer le tout pour le tout pour relancer leurs dés et cocher leurs conditions.

Notez que les jets de peur peuvent être très handicapants. C’est aussi très amusant à jouer, mais c’est une des principales entraves que mes joueureuses ont eu durant cette partie : devoir jeter 1d6 pour savoir combien de rounds ils cèdent à la peur et devoir répondre à la question : comment s’exprime ta peur ? Tu fuis ? Tu te figes ? Tu t’évanouis ? Tu attaques ? J’aime beaucoup ces moments, parce qu’ils posent l’ambiance du jeu.

Les joueureuses ont bien aimé la partie et ont passé un bon moment. Pas de gros coup de cœur non plus. Une joueuse a dit que quitte à faire de l’enquête horrifique, elle préférait jouer à Cthulhu. Cela dit, je pense que Nordiska Väsen/Vaesen propose un système qui permet de faire des campagnes en marches occidentales beaucoup plus simplement que Cthulhu. Comme les personnages sont tous membres d’une même société, on peut former des groupes différents à chaque session facilement. Avec la boîte à outils, on peut aisément écrire des mystères amusants pouvant être résolus en une session de deux à quatre heures. Personnellement, je suis en train d’écrire un petit mystère devant être résolu en deux heures.

Et c’est là que le jeu m’intéresse beaucoup. Le souci des scénarios du commerce est qu’il me faut en général deux à quatre sessions pour les finir. Cela implique de se coordonner avec le même groupe sur plusieurs soirées, ce qui n’est pas forcément évident. En revanche, faire une partie qui se terminera forcément le soir même est très facile à mettre en œuvre dans un trou de son emploi du temps. Les joueureuses ont un compte à rebours de deux heures pour réussir l’enquête et éviter la catastrophe. Vous comprenez sans doute mieux maintenant pourquoi le système de compte à rebours et de catastrophe me plaisent autant. Ils peuvent constituer une épée de Damoclès qui s’abattra sur le groupe à l’heure choisie pour terminer la session.

Pour revenir sur le scénario du livre de base, c’est en fait l’introduction d’une campagne de grande ampleur… Qui n’est pas sortie. Free League a sorti deux recueils de scénarios (que je lis tout doucement, parce que je les lis en suédois), un supplément sur la Grande Bretagne et l’Irlande puis une campagne de Ellinor Di Lorenzo, basée sur son podcast the Lost Mountain Saga. Et ça c’est un peu bizarre, parce que le scénario de base introduit des personnages et des effets que l’on va découvrir, puis oublier pendant longtemps en attendant la sortie de ladite campagne. Bref, c’est un peu dommage d’avoir un tel écart entre les deux.

Le module FoundryVTT

Comme d’habitude, le module Foundry est pratique pour mettre le jeu en œuvre en distanciel et réduire son temps de préparation. Cela dit, pour jouer le scénario de base, ce n’est sans doute pas indispensable, on peut s’en tirer sans. Après, si vous vous lancez dans une campagne, là oui, investissez, ça vaut le coup. Vous avez tout l’équipement, les talents, les blessures, les tables…

En résumé

C’est la qualité Free League. C’est tout ce que j’aime chez eux. Un beau livre, bien écrit, qui va à l’essentiel et qui donne une méthode pour mettre en place rapidement des parties. Peut-être que ce n’est pas un jeu qui vous bouleversera, mais c’est un jeu efficace, bien fait et bien pensé. Je vous en recommande la lecture, même si vous n’y jouez pas, vous y trouverez sans doute quelque chose pour vos autres jeux.

Cela a aussi relancé mon intérêt pour Ur Varselklotet/Tales from the Loop que j’avais lu l’année dernière et qui m’avait déçu (la campagne incluse dans le livre surtout). J’y rejetterai sans doute un coup d’œil prochainement.

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