Si D&D était un genre de manga et autre analogies foireuses

Ou pourquoi je m’éloigne de plus en plus de D&D, sous toutes ses versions et formes, OSR comprise (OSE, DCC, etc).

Edsger W. Dijkstra était à l’informatique ce que Bernard de Clairvaux était au monachisme, un type brillant, mais pas très rigolo.

Edsger W. Dijkstra explique dans On the cruelty of really teaching computing science que le raisonnement par analogie empêche de concevoir des choses radicalement nouvelles. Il va jusqu’à trouver une causalité entre la prédominance de la pensée par analogie au Moyen Âge et la stagnation intellectuelle de l’époque. Et là j’ai envie de dire, Edsger, d’où tu t’y connais en Moyen Âge ? Comment peux-tu établir ces faits et en tirer une corrélation et une causalité? Écouter Edsger W. Dijkstra sur le Moyen Âge, c’est un peu comme écouter Bobby Fischer parler de géopolitique. Ça déçoit. On ne peut pas être un génie en tout.

Moi heureusement, je ne vais pas vous parler de Moyen Âge, mais de jeu de rôle qui s’inspirent de l’image qu’on se fait du Moyen Âge avec en plus beaucoup de fantaisie et de merveilleux. Et je vais parler de D&D, plus précisément des trucs qui me gênent dans D&D, au point que je n’ai plus très envie de mener des parties à ce jeu ou dans ces univers. Et pour essayer de l’expliquer je vais faire des analogies. Dijkstra ne m’en voudra pas, je ne cherche pas à vous faire comprendre quelque chose de radicalement nouveau.

Si D&D était un genre de manga…

Ça serait évidemment du shonen manga comme Dragonball, Naruto ou One Piece. Les héros passent leur temps à se bagarrer contre des ennemis de plus en plus forts en devenant eux-même de plus en plus fort, au point que ça en devient ridicule.

J’aime bien les jeux où la progression maintient les personnages dans un certains degré d’humanité. Drakar och Demoner/Dragonbane, Svärdets Sång/Forbidden Lands ne permettent pas d’augmenter les caractéristiques ou les points de vie de votre personnage. Il devient effectivement de plus en plus puissant, tout en gardant une certaine fragilité. Warhammer permet d’augmenter ses points de vie, sans pour autant arriver aux sacs de points de vie D&D.

Si D&D était un type film…

Ça serait sans doute un film de Disney, un histoire relativement caricaturale avec des gentils et des méchants. Le manichéisme de D&D me désespère et je ne sais pas quoi en faire. Personne ne se réclame des forces du mal dans la vraie vie. Vladimir Poutine n’a pas envahie l’Ukraine en disant qu’il le faisait pour la gloire de Satan. Il l’a fait avec l’appui de l’église en disant que c’était pour protéger les Russes. Les forces du mal, ça n’existe pas. C’est le truc dont on accuse son adversaire, mais ce n’est que rarement la manière dont cet adversaire conçoit ses actions. Je ne m’en sors pas de l’alignement, je trouve ça complètement irréaliste. J’ai jeté un voile pudique sur l’alignement de mon dernier personnage à D&D et je suis bien content que le MD ne m’ait pas demandé ce que c’était, parce qu’il n’y en a pas.
J’ai à peu près le même problème à Warhammer. J’ai de plus en plus de mal avec le Chaos. Fait amusant, L’anneau unique et l’ombre me dérange moins et je trouve ça excitant de jouer à ce jeu. Est-ce que c’est parce qu’ils le font mieux ou que je n’ai aucune cohérence ? Les deux sont possibles.
Cela dit, j’aime beaucoup la proposition de Svärdets Sång/Forbidden Lands qui présente tous ses protagonistes comme des petits connards égoïstes qui ne pensent qu’à leur pomme. Les gens ne sont pas gentils ou méchants, ils suivent leur intérêt. Oui. C’est ça qui me convient. Qu’est-ce que c’est agréable !

Si D&D était un magasin…

Ça serait une chaîne d’hypermarché qui fait des super profits. Les petits producteurs ont la possibilité de venir y vendre leur produit, mais c’est la chaîne qui marge le plus et à la fin se sont les actionnaires de la chaîne qui profitent le plus.
Soutenez les petits producteurs, achetez leurs produits en vente directe ou en boutique. Note : tous les éditeurs de jeu de rôle qui ne sont pas WotC sont des petits producteurs.

Si D&D était un objet…

Un boule à facette. Il y a peu de jeux qui envoient autant de strass et de paillettes. D&D c’est un bouquet final de feu d’artifice permanent. Il y a peu de jeu où la magie est aussi présente. Il y a en fait peu de gens qui ne peuvent pas faire au moins un peu de magie dans l’univers et ils sont de toutes façons très vites bardés d’objets magiques exubérants.

C’est un des éléments qui me fatigue le plus dans D&D. J’aime la low fantasy. Réfléchissez à vos romans de fantasy préférés, est-ce qu’il y a autant de magie que dans D&D ? Tout ce qui fait la magie de la plupart des romans de fantasy est que la magie y est rare et mystérieuse. Warhammer, Svärdets Sång/Forbidden Lands proposent des magiciens et des druides, et c’est tout. On n’a pas de rôdeurs qui guérissent magiquement, de paladin qui châtient divinement et je ne sais quoi. L’anneau unique remporte à ce sujet tous mes suffrages : le livre de base ne permet pas de jouer des personnages doués de magie. Ça, c’est magique. Là on plonge dans le mystère.

Si D&D était un univers de Comics…

Marvel. On ne comprend rien, il y en a partout, il n’y a aucune cohérence, c’est un bordel sans nom. Et en même temps c’est extrêmement populaire.

Les cadres de D&D souffrent de la profusion de choix disponibles pour les joueurs. Cela fait des mondes où toutes les espèces répertoriées doivent être jouables. Regardez le bordel chez nous avec juste des humains. Imaginez des mondes avec autant d’espèces intelligentes me fait mal à la tête. Et en plus ce sont des multimondes et on peut voyager entre tous ces mondes et il y a des tas de plans à la con au milieu. Au secours.

Vivement le jeu de rôle de Fantasy avec une seule espèce intelligente. En attendant, Warhammer, l’Anneau unique, Svärdets Sång/Forbidden Lands proposent des cadres cohérents et plus restreints. Drakar och Demoner/Dragonbane est limite avec ses canards, mais je le pardonne. J’aime bien les canards.

Si D&D était un moyen de transport

Ça serait l’avion. Bien que les règles le permettent, on se retrouve rarement à voyager dans D&D. On prend l’avion, ou plus exactement l’ellipse narrative. On part de là où on est pour arriver au lieu d’aventure. Le voyage n’est en général pas le centre de l’aventure et est plié en une petite phrase ou une rencontre aléatoire avec un hibours. Le rôdeur dont c’est la spécialité est souvent frustré parce que ses compétences sont de fait rarement utilisées.

Et là vous me dites, mais non ce n’est pas vrai, il y a des règles de voyage dans D&D ! Oui, c’est pas faux. Et depuis longtemps puisqu’on les trouvait déjà dans les vieilles versions du jeu. L’hexploration est une vieille manière de jouer, beaucoup remise au goût du jour par l’OSR.

Disons alors que ce n’est pas forcément au cœur du jeu, qu’il s’agit plus d’une option possible et que la plupart du temps, on ne la prend pas. Pourtant, le voyage est central dans le Seigneur des Anneaux, c’est pour ça que le rôdeur est une classe aussi populaire. Être le type qui sait guider est a priori un beau rôle. Mais la vérité, c’est que D&D, toutes versions confondus ne le fait pas très bien. Svärdets Sång/Forbidden Lands met le voyage au centre de l’histoire avec des règles très agréables à jouer. Dans ce jeu, le voyage ne sert pas juste à aller d’un point à un autre, c’est un véritable lieu de surprises qui peuvent court-circuiter les objectifs des joueureuses et les emmener à changer complètement leurs plans. Les règles de voyage sont absolument géniales (on retrouve les mêmes dans Twilight 2000), on peut s’amuser à jouer seul très simplement, juste pour voir si on survit.

L’Anneau unique propose lui aussi des règles de voyages qui sont importantes dans le déroulement du jeu et dans l’ambiance. On n’y coupe pas et elles sont plutôt sympathiques. J’aime aussi beaucoup ça. Il y a quelque chose un peu dans la même veine avec Beowulf, un jeu malin compatible 5e. Toujours pour la 5e, Riotminds prépare Into the Wild, un supplément qui met la nature au centre de l’histoire. Je suis très curieux de découvrir ce supplément.

Conclusion

Voilà. Quand je crée un personnage de D&D, je respire très fort et je me dis « bon, ça va être n’importe quoi, mais ce n’est pas grave, on va quand même passer un bon moment ensemble ». Et c’est le cas. Je m’amuse bien. Cela dit, pour ce qui est de mener des parties, des campagnes… Non, vraiment non, je pense que c’est fini. À la marge, je ferai peut-être du Beowulf, parce que l’adaptation gomme beaucoup de choses que je reproche à D&D (il n’y a que des hommes, on reste raisonnable sur les niveaux, les héros ne font pas de magie…). Beowulf, c’est vraiment très alléchant. Dans un genre différent je pourrais aussi être tenté par Brancalonia. Mais bon, pour la fantasy, je suis vraiment accroché en ce moment par Svärdets Sång/Forbidden Lands, Drakar och Demoner/Dragon Bane, l’Anneau unique ou Kopparhavets Hjältar… Ha et j’ai très envie d’essayer Runequest aussi. Bref, tout ce que j’ai dit ne fait pas de D&D un mauvais jeu, il y a des chances que ce soit ce que vous aimiez justement et alors tant mieux pour vous ! De mon côté je préfère explorer d’autres horizons.

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